Le débat public sur la lutte contre les dérives sectaires en France est souvent marqué par des controverses entre associations, spécialistes et institutions par articles interposés dans les médias ou sur les sites officiels. Cela soulève des questions fondamentales sur la liberté d’expression, le respect des faits et l’objectivité dans la présentation d’affaires juridiques.

C’est dans ce contexte qu’est né ce présent article, qui se veut être une réponse à une série d’échanges faisant état de tensions persistantes autour de la légitimité de certains acteurs engagés sur le sujet des minorités religieuses et spirituelles et du récit qu’ils proposent dans l’espace public. Ce qui suit est une invitation à regarder de près la manière dont l’information est véhiculée et à ne jamais cesser d’exercer son esprit critique, quelles que soient les convictions ou réputations en jeu.

Retour sur un échange public et ses enjeux

Le 16 avril 2025, CAP Liberté de Conscience a publié sur son site un article intitulé : « La procédure-bâillon, la nouvelle excuse de la MIVILUDES et consorts »[1]. Ce texte faisait suite à plusieurs décisions de justice de premier plan impliquant, entre autres, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), l’UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes) et la FECRIS (Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme).

Dans cet article, était notamment souligné  :

« La Miviludes elle-même a été condamnée par la justice administrative en juin 2024 pour avoir sciemment menti au sujet des Témoins de Jéhovah dans son rapport 2018-2020. Puis à nouveau condamnée en février 2025 pour avoir qualifié un kibboutz de “dérive sectaire”, sans avoir les éléments nécessaires pour ce faire. Là encore, doit-on soupçonner les juges d’être partie prenante du complot de la procédure-bâillon ?»

Au sujet de l’UNADFI, autre acteur central de ce débat ce même article déclarait :

« CAP Liberté de Conscience vient de faire condamner l’UNADFI (une association partenaire de la MIVILUDES) pour avoir sciemment refusé d’appliquer la loi sur la liberté de la presse. L’UNADFI a perdu en première instance, a fait appel, et a perdu à nouveau en appel. Elle a renoncé à la cassation. Les juges font-ils tous partie du complot ?»

Au-delà des opinions, cet article questionnait plus largement les dérives de la lutte antisecte et le possible déséquilibre que peuvent parfois introduire des institutions ou des ONG dans la protection des droits fondamentaux. Cet article largement diffusé, visait à susciter le débat sur les moyens employés, le respect des procédures et la place accordée aux minorités religieuses ou convictionnelles face à des acteurs puissants et institutionnalisés.

C’est dans ce climat de confrontation argumentaire qu’est intervenu un nouvel élément : le 28 avril 2025, l’UNADFI a publié sur son site un communiqué de réponse à cet article[2].
On pourrait y voir la continuité normale d’un dialogue contradictoire dans un État de droit, entre une ONG indépendante et une association soutenue et financée par l’État français. Chacune dispose de sa propre légitimité et affirme son analyse de la situation. Jusqu’à ce stade, rien d’anormal, sinon le reflet d’un débat pluraliste et, somme toute, sain.

Pourtant, à la lecture attentive du communiqué de l’UNADFI, certaines formules soulèvent des interrogations plus profondes. D’une part, la tendance à minimiser certains faits concrets, d’autre part, et surtout, une affirmation finale dont la portée semble particulièrement significative. Elle illustre la manière dont peut se construire une légitimité sur une information inexacte ou sur une interprétation discutable des références institutionnelles européennes. Cet exemple démontre l’absolue nécessité de la vérification, y compris lorsque des arguments proviennent d’acteurs bénéficiant du soutien des pouvoirs publics.

Avant d’en venir à ce point clé, il importe cependant d’observer comment le vocabulaire et la présentation des faits peuvent transformer fondamentalement le sens d’une décision de justice ou d’un événement.

Quand la sémantique s’en mêle

Certaines divergences ne se situent pas uniquement sur le terrain des principes ou des objectifs, mais bien dans les mots choisis pour rendre compte de la réalité des faits. Pour illustrer ce propos, deux exemples tirés du communiqué de l’UNADFI et de l’article de CAP Liberté de Conscience méritent examen :

  1. Procédure concernant CAP Liberté de Conscience face à l’UNADFI

Dans son communiqué, l’UNADFI écrit :

« Une décision défavorable à une association engagée contre les dérives sectaires concernait un point de droit technique relevant du droit de la presse, et non une infraction pénale ni une diffamation reconnue.»

Derrière cette formulation, ce sont les conséquences juridiques d’un contentieux perdu qui sont reléguées au rang de simple “point technique”.

Pour autant, ce qui est présenté ici comme une péripétie procédurale renvoie à une affaire bien concrète : le refus, par l’UNADFI, de publier le droit de réponse de CAP Liberté de Conscience, comme l’exige pourtant la loi sur la liberté de la presse.

 La décision de justice, loin de n’être qu’un “point technique”, a été confirmée en appel après un premier jugement défavorable à l’UNADFI, qui a ensuite renoncé à se pourvoir en cassation. Ainsi, la réalité juridique s’avère nettement plus déterminante que ne le laisse entendre la formulation choisie.

Dans un précédent article, CAP Liberté de Conscience indiquait en ces termes :

« CAP Liberté de Conscience vient de faire condamner l’UNADFI (Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes, une association partenaire de la MIVILUDES) pour avoir sciemment refusé d’appliquer la loi sur la liberté de la presse. L’UNADFI a perdu en première instance, a fait appel, et a perdu à nouveau en appel. Elle a renoncé à la cassation. Les juges font-ils tous partie du complot ?»

  1. Sur les condamnations de la Miviludes

Autre formulation du communiqué de l’UNADFI :

« Des critiques adressées à la MIVILUDES sur certaines formulations dans ses rapports ont donné lieu à des ajustements administratifs, mais aucune condamnation pour mensonge ni faute grave n’a été retenue.»

Ici, les décisions de justice ne sont plus nommées comme telles, mais réduites à de simples “ajustements administratifs”, ce qui en gomme soigneusement la portée et la gravité.

Pourtant, rappelons une nouvelle fois:

« La Miviludes elle-même a été condamnée par la justice administrative en juin 2024 pour avoir sciemment menti au sujet des Témoins de Jéhovah dans son rapport 2018-2020. Puis à nouveau condamnée en février 2025 pour avoir qualifié un kibboutz de ‘dérive sectaire’, sans avoir les éléments nécessaires pour ce faire. Là encore, doit-on soupçonner les juges d’être partie prenante du complot de la procédure-bâillon ?»

Ces deux exemples témoignent du contraste entre la réalité juridique et sa présentation publique, selon la perspective de chaque acteur.

Parler de “point de droit technique” pour désigner l’aboutissement d’un procès en appel, ou qualifier de “simples ajustements administratifs” deux condamnations confirmées par la justice, c’est jouer, finalement, de la sémantique. Cela n’est pas illégal ni même inhabituel dans tout débat public : chacun a le droit de défendre sa vision, de choisir ses mots et d’opter pour le récit qui lui paraît le plus pertinent.

 Ce qui a néanmoins incité à écrire cet article n’est pas le simple recours à des formules ou à des nuances de langage. Chacun est libre d’exprimer son interprétation des faits et c’est là, précisément, l’essence même de la liberté d’expression.

Mais le passage le plus significatif du communiqué de l’UNADFI amène à évoquer un autre enjeu, tout aussi essentiel : celui de la fidélité des citations et de l’usage des références européennes.

L’Europe au secours de l’UNADFI, rêve ou réalité ?

C’est dans la dernière partie de son communiqué que l’UNADFI introduit une dimension européenne pour appuyer sa position. Voici l’extrait concerné :

« Les procédures judiciaires abusives visant à intimider chercheurs, journalistes ou ONG engagés dans la prévention des dérives sectaires ont été clairement identifiées par le Parlement européen, qui a récemment légiféré contre les procédures bâillons (ou SLAPPs).

Le rapport du Parlement de 2021, suivi d’une directive en 2024, alerte sur les risques d’instrumentalisation du droit par certains groupes à visée spirituelle ou idéologique.»

Première partie de ce passage : rien à signaler ici concernant la qualification de la contestation, qui relève du débat normal d’idées.

Mais l’affirmation selon laquelle le Parlement européen aurait récemment “clairement identifié” des procédures judiciaires abusives visant des chercheurs, journalistes ou ONG “engagés dans la prévention des dérives sectaires” a tout de même surpris, de même que la référence à une présumée alerte sur l’“instrumentalisation du droit par des groupes à visée spirituelle ou idéologique”.

Suivant avec assiduité les débats européens sur les procédures stratégiques contre la participation publique (SLAPPs), et après une vérification minutieuse des textes européens CAP Liberté de Conscience peut affirmer que de telles mentions n’existent pas dans la législation ou les rapports européens.

Ce que disent vraiment les textes européens :

La résolution du Parlement européen du 11 novembre 2021 et la directive de 2024

Dans la résolution du 11 novembre 2021 sur le renforcement de la démocratie, ainsi que de la liberté et du pluralisme des médias dans l’Union, on lit :

« Dans sa résolution du 11 novembre 2021 sur le renforcement de la démocratie ainsi que de la liberté et du pluralisme des médias dans l’Union, le Parlement européen a invité la Commission à proposer un ensemble d’instruments juridiques contraignants et non contraignants pour faire face au nombre croissant de poursuites stratégiques altérant le débat public ou “poursuites-bâillons” concernant les journalistes, les organisations non gouvernementales (ONG), les universitaires et la société civile dans l’Union. Le Parlement a fait part de la nécessité de mesures législatives dans les domaines de la procédure civile et de la procédure pénale, telles qu’un mécanisme de rejet rapide pour les poursuites abusives au civil, le droit au remboursement intégral des dépens exposés par le défendeur et le droit à réparation du préjudice subi. La résolution du 11 novembre 2021 comprenait également un appel en faveur d’une formation appropriée des juges et des praticiens du droit en ce qui concerne les poursuites-bâillons, un fonds spécifique destiné à apporter un soutien financier aux victimes de poursuites-bâillons et un registre, accessible au public, recensant les décisions de justice en la matière. En outre, le Parlement a demandé la révision du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil et du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil afin de prévenir le “tourisme de la diffamation” ou la “recherche opportuniste de juridiction”.»
(Texte officiel PDF)

À aucun moment cette résolution ne cible spécifiquement la prévention des dérives sectaires, ni ne mentionne des groupes à visée spirituelle ou idéologique”. Le champ d’application porte sur : journalistes, ONG, universitaires et société civile.

Que trouve-t-on dans la résolution sur la démocratie de 2021 ?

Sous la rubrique “Discours de haine”, la résolution énonce :

« 11. souligne que, ces dernières années, les discours de haine et la discrimination dans les médias, en ligne et hors ligne, ainsi que la cyberviolence, se sont multipliés à l’encontre des journalistes, des ONG, des universitaires, des défenseurs des droits et d’autres acteurs de la société civile, y compris de ceux qui défendent les droits des personnes LGBTIQ, les questions d’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté de religion ou de conviction, menaçant ainsi la liberté des médias, les libertés d’expression, d’information et de réunion, ainsi que la sécurité publique ; rappelle que les discours de haine en ligne peuvent engendrer de la violence hors ligne ; rappelle la nécessité de promouvoir le code de conduite de la Commission sur la lutte contre les discours haineux illégaux en ligne ; souligne le fait que les femmes journalistes sont confrontées aux mêmes pressions que leurs collègues en matière de contenu, mais qu’elles sont plus souvent victimes de violences et de harcèlement sexuels ;»
(Texte officiel en ligne)

Ici encore, la résolution ne vise ni la prévention des dérives sectaires, ni l’instrumentalisation du droit par des groupes spirituels ou idéologiques. Elle mentionne même explicitement la nécessité de protéger la liberté de religion ou de conviction : signe que le pluralisme d’idées, y compris religieuses, fait précisément partie des valeurs à préserver, et non à restreindre.

La recommandation du Conseil de l’Europe d’avril 2024

Enfin, en avril 2024, le Conseil de l’Europe a publié ses propres recommandations sur la lutte contre l’utilisation abusive des SLAPPs (lien officiel).

 Ce texte promeut la protection du débat public et la liberté d’expression face à des pratiques judiciaires abusives. Là non plus, pas de référence à la prévention des dérives sectaires ni au ciblage de groupes spirituels.

Une déformation ou une erreur ?

À la lumière de ces textes, il apparaît que les éléments de langage de l’UNADFI constituent, à minima, une interprétation « très libre » des références européennes mobilisées. En réalité, ni la directive européenne sur les SLAPPs (poursuites-bâillons), ni les résolutions parlementaires observées ne désignent les associations antisectes ou les groupes dits “à visée spirituelle” comme cibles ou objets spécifiques de la réglementation.

En revanche, la protection recherchée vise toutes les actrices et tous les acteurs du débat public, sans discrimination liée aux champs d’action – que ce soit la défense des droits fondamentaux, la liberté de la presse, l’égalité de genre, la lutte contre les discriminations ou la liberté de conviction.

Le débat sur la pertinence d’une formule plutôt qu’une autre, ou la divergence de vue sur la réalité factuelle d’une procédure, sont des éléments essentiels de la démocratie et n’enlèvent rien au droit de chacune des parties à défendre ou à critiquer telle ou telle interprétation.

Cependant, détourner ou instrumentaliser les textes européens pour justifier une position ou une légitimité qui ne s’y trouve pas expose inévitablement celui qui s’y essaie à voir sa parole relativisée, voire remise en cause.

Veiller à la rigueur, pour tous

Cet exemple invite à tirer un enseignement simple : il est indispensable de vérifier chaque information, quelle que soit la source – ONG indépendante, grande association financée par l’État ou institution relevant de l’intérêt général.

La vigilance s’impose d’autant plus que certaines associations, comme l’UNADFI, disposent d’un accès privilégié à de multiples institutions (délégations ministérielles, formation des magistrats, campagnes de sensibilisation dans l’administration, etc.). Dans ce contexte, l’exemplarité et la rigueur dans le recours à l’argument européen ou international devraient être la règle.

Est-ce là le reflet d’une stratégie de communication propre à certaines associations engagées dans la lutte antisecte, ou s’agit-il simplement d’une lecture approximative des textes ?
À chacun de se faire son opinion. La liberté d’expression, y compris dans ses contradictions, en sortira toujours renforcée lorsqu’elle s’appuie sur le respect scrupuleux des faits.

Cet article a pour but de participer à la qualité du débat public, en rappelant la nécessité d’une information fidèle et contrôlée, quelle que soit la sensibilité ou la position de ses auteurs. Exercer son esprit critique reste, pour tous, la meilleure garantie d’un débat authentique et équilibré.

Ressources et références utilisées :

  1. La procédure-bâillon, la nouvelle excuse de la MIVILUDES et consorts – Article du 16 avril 2025, CAP Liberté de Conscience
  2. Communiqué UNADFI, 28 avril 2025
  3. Résolution européenne du 11 novembre 2021
  4. Texte officiel sur les SLAPPs, directive européenne 2024
  5. Recommandations du Conseil de l’Europe, avril 2024

 

 

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