04/05/2021 Massimo Introvigne
Source : bitterwinter
Certains amendements adoptés par le Sénat soulèvent de graves problèmes de liberté religieuse. Les principaux dirigeants chrétiens de France se joignent officiellement aux musulmans pour critiquer le projet de loi.
La bataille d’amendements concernant le projet de loi français sur le « séparatisme », qui réformerait après plus de 100 ans la législation française sur la religion, est passée de la Commission des lois au Sénat.
La bonne nouvelle est que certains des amendements les plus préjudiciables que nous avions évoqués dans un article précédent ont été soit rejetés soit retirés. Le Sénat a rejeté l’amendement 178 de la sénatrice Valérie Boyer, qui tentait de réintroduire la possibilité d’une dissolution administrative rapide des associations, y compris les associations cultuelles, qui portent atteinte à la « dignité humaine », à la « liberté de conscience » ou qui utilisent des techniques de « pression psychologique », après qu’une disposition similaire, incluse dans le projet initial et visant manifestement les groupes qualifiés de « sectes », ait été supprimée par le gouvernement suite aux critiques du Conseil d’État.
L’amendement 280 du sénateur Jean-Yves Roux, qui voulait introduire un nouveau délit de « comportement sectaire », a été retiré par son auteur.
Cependant, l’amendement paradoxal 182, également proposé par la sénatrice Boyer, a été modifié pour inclure la signature de 15 autres sénateurs qui soutiennent la proposition. L’amendement 182 vise à créer le délit de « qualifier publiquement l’apostasie comme étant un crime». La peine est portée à sept ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende si cette qualification publique est assortie d’un appel à la violence ou à la haine à l’encontre d’une personne présentée comme un apostat. Lorsqu’il n’y a pas d’incitation à la violence, mais simplement une déclaration faisant de l’apostasie « un crime », la peine est de 5 ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende. Ostensiblement écrit contre les musulmans, qui considèrent certainement l’apostasie comme un crime, l’amendement serait en fait immédiatement applicable à l’Église catholique, dont le Code de droit canonique, canon 1364, définit clairement l’apostasie de l’Église catholique comme un crime (delictum), et mettrait en danger plusieurs autres religions. Cet amendement n’a pas encore été voté.
D’autres amendements adoptés par le Sénat ont été largement critiqués par les médias français.
L’amendement 146, qui a été adopté, interdit aux mineurs de porter des symboles religieux dans les espaces publics, y compris dans la rue. Les symboles qui « impliquent que les femmes sont inférieures aux hommes » sont également interdits. Évidemment, il s’agit d’un nouvel épisode dans la croisade française, qui dure maintenant depuis dix ans, contre le foulard ou voile islamique, mais une féministe pourrait faire valoir que les jupes, et certainement les longues jupes utilisées par les filles de certaines communautés évangéliques, impliquent que « les femmes sont inférieures aux hommes ». Quant à l’interdiction de porter des croix chrétiennes, des kippas juives ou des turbans sikhs, elle ne semble guère justifiée par l’objectif déclaré de la loi de prévenir la « radicalisation » et le terrorisme.
Il ne s’agit pas seulement des mineurs. L’amendement 236, qui a également été adopté, oblige les piscines publiques à « respecter le principe de laïcité ». Pour quelqu’un qui n’est pas français, cela peut sembler étrange : pourquoi les piscines et pas les terrains de football ou les salles de cinéma ? Mais l’amendement explique qu’il vise le « burkini », un maillot de bain de pudeur à la mode pour les femmes musulmanes, qui couvre tout le corps et la tête. L’amendement, maintenant adopté, n’est qu’une preuve supplémentaire de la façon dont les législateurs français veulent cibler une religion, l’islam, mais ne pouvant pas créer des lois manifestement inconstitutionnelles discriminant explicitement les musulmans, finissent par créer des textes entravant également les autres religions. Les femmes juives orthodoxes utilisent également des maillots de bain de pudeur similaires au burkini, et il semblerait plus qu’étrange, si une femme, pour une raison quelconque, trouvait un maillot de bain de cette nature confortable, de dépêcher à la piscine un théologien accompagné d’un officier de police pour enquêter sur le fait qu’elle le porte pour des raisons pratiques, morales ou religieuses.
Les amendements 286 et 150 ont également été approuvés. Ils exigent que les mères (et les pères) qui accompagnent bénévolement les enfants lors d’une sortie scolaire, ou d’autres activités extrascolaires, « se comportent conformément au principe de laïcité ». Cela signifie à nouveau qu’un père sikh ne peut pas porter de turban (ce qui signifie qu’il ne peut pas accompagner ses enfants, puisque sa religion l’empêche d’enlever le turban), et qu’une mère musulmane doit enlever son foulard.
D’autres amendements similaires seront discutés cette semaine. Le fait que les amendements soient adoptés par le Sénat ne signifie pas qu’ils feront partie du texte définitif de la loi. Après son approbation par le Sénat, le projet de loi sera soumis à une commission mixte (composée de sénateurs et de membres de l’Assemblée, en nombre égal). S’ils parviennent à un consensus, le processus législatif sera terminé. Dans le cas contraire, le texte retournera à l’Assemblée, puis au Sénat, et enfin à nouveau à l’Assemblée, qui aura le dernier mot.
Nous espérons que dans ce processus, le nouvel article 8 bis A, introduit par la Commission des lois du Sénat et qui permet de dissoudre des associations religieuses par une ordonnance administrative lorsque certains de leurs membres sont accusés d’activités illégales ou « immorales », pourra également être supprimé.
Entre-temps, les trois plus hautes autorités chrétiennes de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques catholiques de France, le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, et le métropolite Emmanuel Adamakis, chef de l’Église orthodoxe française (Patriarcat œcuménique), ont signé une déclaration commune dont le titre est des plus explicites : « Les chrétiens unis contre la loi sur le séparatisme ». Les responsables chrétiens français déclarent que le projet de loi, s’il était adopté, aggraverait la situation des communautés religieuses, au lieu de l’améliorer, considérant la loi existante de 1905 sur les associations cultuelles, et nierait le droit légitime de ceux qui veulent vivre différemment de la majorité de s’organiser « séparément », ce qui n’est pas un délit, et reviendrait au modèle de contrôle strict de toutes les religions par l’État datant de l’époque de Napoléon ; un projet de loi plus suspicieux et hostile envers la religion que le système introduit en 1905.
Les dirigeants chrétiens ont identifié la source du problème. Outre ce qui semble être l’inconstitutionnalité évidente de certains articles, et leur violation des principes fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’homme, la loi, à travers les différents amendements, considère de plus en plus la religion comme un « problème », plutôt que comme une ressource, pour la société française. Considérer la religion comme un ennemi favorise rarement la liberté religieuse et les droits de l’homme.