25/08/2021Massimo Introvigne

À l’origine, les communistes russes et chinois étaient accusés d’utiliser des techniques de manipulation mentale. Certains professionnels de la santé mentale ont étendu cette accusation aux religions.

L'inscription de William Sargant lorsqu'il s'est rendu pour un an en tant que professeur invité à l'université de Duke, dans les années 1947

L’inscription de William Sargant lorsqu’il s’est rendu pour un an en tant que professeur invité à l’université de Duke, dans les années 1947

par Massimo Introvigne

source Bitter Winter

Article 3 sur 5. Lisez l’article 1 et l’article 2.

Dans les articles précédents, nous avons vu comment la CIA a inventé le mot « lavage de cerveau » et accusé les communistes d’utiliser de sinistres techniques de contrôle mental. À un moment donné, la CIA a commencé à croire à sa propre propagande et a lancé une expérience secrète portant le nom de code MK-ULTRA, dans le cadre de laquelle elle a tenté le « lavage de cerveau » de soi-disant volontaires. Le projet a échoué et a prouvé que les techniques de « lavage de cerveau » peuvent réduire les malheureuses victimes à l’état d’épaves humaines semblables à des légumes, mais ne peuvent pas installer en elles de nouvelles idées ou loyautés.

L’un de ceux qui, sans probablement savoir que le projet secret MK-ULTRA était en préparation, avait prévu que le seul résultat possible d’un « lavage de cerveau » violent serait la production de victimes ressemblant à des zombies, était le fondateur de la Scientologie, L. Ron Hubbard. Il a été impliqué de manière marginale dans les discussions de la Guerre froide sur le « lavage de cerveau », puisque l’Église de Scientologie a publié en 1955 (puis rapidement retiré, peut-être sur la suggestion d’agences gouvernementales américaines) une brochure intitulée Brain-Washing : A Synthesis of the Russian Textbook on Psychopolitics (Lavage de cerveau : une synthèse du manuel russe de psychopolitique). Il s’agissait apparemment d’un manuel communiste de « lavage de cerveau », et la question de savoir si Hubbard l’a compilé lui-même ou s’il a édité des documents reçus d’autres personnes (peut-être de l’une des agences de renseignement américaines) est un sujet de discussion que j’ai longuement abordé ailleurs.

Les critiques ont prétendu qu’en publiant cette brochure, Hubbard a « avoué » que le « lavage de cerveau » existait, ce qui impliquait que la Scientologie le pratique, ce qui, selon eux, est étayé par une déclaration selon laquelle « Nous pouvons faire un lavage de cerveau plus rapidement que les Russes (20 secondes pour une amnésie totale contre trois ans pour une loyauté légèrement confuse) ». Cependant, les critiques ont négligé le fait que Hubbard a présenté le « lavage de cerveau » comme quelque chose qui ne devrait pas être fait et qui ne fonctionne pas. Le « lavage de cerveau » qu’il avait à l’esprit était celui attribué aux communistes, où l’on cherchait à obtenir des résultats en infligeant de la douleur et en bourrant la victime de drogues lourdes. Hubbard appelait cette technique « l’hypnose par la douleur et la drogue ». C’était quelque chose de différent du « lavage de cerveau » que les nouveaux mouvements religieux seront accusés de pratiquer des décennies plus tard, et dans lesquels ni douleur, ni drogue n’était normalement impliqués.

Non seulement ce genre de « lavage de cerveau » était contraire à l’éthique, disait Hubbard, mais il ne fonctionnerait jamais. « Je le répète, a déclaré Hubbard dans l’une de ses conférences du Congrès sur les Jeux de 1956. « Ce n’est pas efficace. Ça ne fait pas son boulot. […] C’est un canular – un canular de premier ordre. Les communistes ne peuvent pas faire de lavage de cerveau à quelqu’un qui n’a pas eu de lavage de cerveau. Il ne peut pas le faire ; il ne savent pas comment faire. C’est une de ces armes de propagande. Ce n’est rien d’autre. Ils [les communistes] disent : « nous avons cet arme terrible appelée lavage de cerveau – nous allons faire un lavage de cerveau à  tout le monde ». Eh bien, ce serait terriblement dangereux s’ils pouvaient le faire.

Mais savez-vous que dans cette pièce, il n’y a pratiquement personne à qui le lavage de cerveau puisse nuire de façon permanente, sauf si c’est associé à une privation de nourriture et qu’on leur faisait subir des conditions contraignantes. En d’autres termes, si vous mettiez un type dans une prison militaire et que vous le nourrissez très mal pendant deux ou trois ans, son état laissera à désirer, n’est-ce pas ?

Eh bien, c’est exactement l’effet que le lavage de cerveau avait sur eux. Il n’avait pas plus d’effet que ça..»

Comme nous l’avons mentionné dans notre article précédent, Hubbard avait raison sur ce point, et les tristement célèbres expériences MK-ULTRA ont eu pour seul résultat valable de confirmer que le « lavage de cerveau » ne peut pas changer les idéologies ou les croyances.

Mais comment l’accusation de pratiquer le « lavage de cerveau » est-elle passée des communistes aux « sectes » ? Le premier auteur à avoir appliqué la rhétorique de la CIA sur le « lavage de cerveau » à la religion est le psychiatre anglais William Walters Sargant, dans son livre The Battle for the Mind : A Physiology of Conversion and Brainwashing, qui est devenu un best-seller international. Sargant a popularisé l’idée que les techniques de « lavage de cerveau » avaient été dérivées en Russie des célèbres expériences du scientifique stalinien Ivan Pavlov, où un chien habitué à entendre une cloche sonner chaque fois qu’on lui donnait à manger, finissait par saliver lorsque la cloche sonnait mais qu’aucune nourriture n’était servie. Certains psychiatres croient encore à cette théorie, bien que les sources soviétiques et chinoises n’aient pas confirmé que Pavlov ait joué un rôle principal dans leurs études sur les techniques d’endoctrinement.

L’argument central de l’ouvrage de Sargant était que les communistes n’ont pas inventé le « lavage de cerveau ». Tout au plus croyait-il que, grâce à Pavlov, ils étaient parvenus à une meilleure compréhension du procédé qu’ils avaient adapté à partir de procédés préexistants de revivification et de conversion religieuses. Sargant a écrit : « Quiconque souhaite étudier la technique du lavage de cerveau et de l’obtention de confessions telle qu’elle est pratiquée derrière le rideau de fer… ferait bien de commencer par une étude du revivalisme américain du XVIIIe siècle, à partir des années 1730. »

Bien que dans la troisième édition de son livre, publiée en 1971, Sargant a inclus la Scientologie parmi les religions pratiquant le « lavage de cerveau », il croyait qu’il n’y avait pas de différence entre les religions traditionnelles qui n’utilisaient pas la manipulation mentale, et les « sectes » qui le faisaient. Au contraire, Sargant était résolument anti-chrétien, et il mentionnait les catholiques romains et les méthodistes comme deux groupes utilisant typiquement le « lavage de cerveau », et accusait les premiers chrétiens du même péché. Le psychiatre anglais pensait que seul le « lavage de cerveau » pouvait expliquer la croissance rapide du christianisme primitif.

Même la conversion de l’apôtre Paul, telle que la Bible la relate, pourrait, selon Sargant, s’expliquer par un schéma de « lavage de cerveau », le chrétien Ananie ayant « lavé le cerveau » de Paul, à l’origine juif et antichrétien. « Un état d’inhibition transmarginale semble avoir suivi le stade aigu d’excitation nerveuse de Paul […] et augmenté son anxiété et sa suggestibilité […]. Ananie est arrivé pour soulager ses symptômes nerveux et sa détresse mentale, tout en implantant de nouvelles croyances. »

Beaucoup ont lu le livre de Sargant, notamment au sein de la communauté psychiatrique, où il a certainement alimenté une attitude hostile à la religion en général. Cependant, sa cible était trop large pour que le livre soit d’une quelconque utilité pour la promotion de politiques publiques. C’est aux États-Unis que la psychologue Margaret Thaler Singer a réélaboré les idées de Sargant en affirmant que toutes les religions n’utilisaient pas le « lavage de cerveau », mais seulement certaines nouvellement établies qui n’étaient pas exactement des religions, mais des « sectes ». Cela s’est produit dans le climat des années 1960 et du début des années 1970, lorsque le mouvement anti-sectes venait de naître, principalement parmi les parents d’étudiants qui avaient décidé d’abandonner leurs universités pour devenir des missionnaires à plein temps pour l’Église de l’Unification ou les Enfants de Dieu, ou des moines hindous rasés pour le mouvement Hare Krishna. Comme cela s’est produit pour les « hérésies » du passé, leurs parents ne croyaient pas que c’étaient des choix volontaires, et des psychologues comme Singer leur ont proposé le « lavage de cerveau » comme explication commode.

Singer a contribué à la création de l’idéologie anti-sectes, qui repose sur l’idée que l’on peut distinguer les « sectes », qui utilisent le « lavage de cerveau », des religions légitimes, qui ne le font pas. Toutefois, cette théorie a fini par être discréditée par les universitaires et rejetée par les tribunaux, comme nous le verrons dans notre prochain article.

Traduction : CAP LC

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