Massimo Introvigne

Washington Times July 31

Republié avec l’autorisation de l’auteur et de www.washingtontimes.com

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Le meurtre d’Abe : C’est le mouvement antisectes qui est condamnable, pas l’Église de l’Unification

Par Massimo Introvigne OPINION :

En 1901, un anarchiste a assassiné le président des États-Unis, William McKinley. Ce crime a eu pour conséquence, pendant des décennies aux États-Unis, la criminalisation de tous les groupes anarchistes, dont certains étaient contre la violence. En 1927 encore, les anarchistes Sacco et Vanzetti ont été exécutés pour des crimes qu’ils n’avaient jamais commis, une histoire dont ma génération se souvient, car elle a été racontée en 1971 dans la chanson « Here’s to You » de Joan Baez.

Il était injuste, mais pas surprenant, qu’on s’en prenne à tous les anarchistes sous prétexte que l’un d’entre eux avait assassiné un politicien. Imaginons cependant un autre scénario. Supposons qu’un extrémiste de droite, ennemi juré des anarchistes, ait assassiné le Président en clamant qu’il méritait cette punition, car il était trop « faible envers les anarchistes ». Aucun Américain sensé n’aurait songé à blâmer les anarchistes. On aurait jeté l’opprobre sur leurs ennemis les plus radicaux.

C’est pourtant ce qui se passe au Japon après l’assassinat de Shinzo Abe. C’est l’Église de l’Unification, fondée par le révérend Sun Myung Moon, qui est accusée du crime et ses membres qui sont vilipendés sur leurs lieux de travail et dans leurs écoles, suscitant ainsi une alerte rouge en matière de droits de l’homme. Ce serait déjà injuste si l’assassin était membre de l’Église de l’Unification, car aucun groupe, religieux ou autre, ne devrait être puni pour les crimes d’une seule brebis galeuse. Mais l’assassin de M. Abe, Tetsuya Yamagami, n’était pas un membre du Mouvement de l’Unification. Au contraire, il détestait farouchement l’organisation fondée par le révérend Moon et voulait punir M. Abe pour avoir envoyé des messages vidéo à deux événements organisés par une association affiliée ce mouvement.

La simple logique indique que le Mouvement de l’Unification est ici une victime, au même titre que M. Abe. L’examen psychologique de M. Yamagami indiquera sans doute que c’est un psychopathe, mais les vrais paranoïaques ont de vrais ennemis. Il est fort possible que son esprit faible ait été excité par les campagnes de haine menées à l’encontre du Mouvement de l’Unification par certains médias japonais, alimentées par des organisations et des avocats « antisectes ».

Les médias ont rapporté que la mère de l’assassin avait fait des dons importants au Mouvement de l’Unification, ce qui avait ruiné la famille et provoqué la rancune de M. Yamagami envers le groupe. Or, ces dons ont cessé depuis plusieurs années déjà, et c’est en 2022 que M. Yamagami a tué M. Abe. On peut logiquement penser que ce sont les récentes et violentes campagnes médiatiques contre l’Église de l’Unification qui l’ont poussé à agir.

Les dons à l’Église de l’Unification ont été présentés par les médias comme quelque chose de néfaste, en particulier lorsqu’ils prenaient la forme d’un achat d’objet à un prix incluant un don et lié à sa valeur spirituelle plutôt que matérielle, ou bien à une pratique spirituelle destinée à soulager la condition de parents décédés dans l’au-delà. Certes, les journalistes ne sont pas tenus d’étudier la théologie de l’Église de l’Unification, mais ils pourraient savoir qu’un tel système de dons existe dans de nombreuses religions.

En fait, Martin Luther est à l’origine de la Réforme protestante et a divisé le christianisme occidental en deux branches distinctes à la suite d’une controverse sur la vente d’indulgences par l’Église catholique, lesquelles consistaient en une promesse qu’une âme peut monter au ciel dans l’au-delà à la suite d’un don de ses proches. Des pratiques similaires existent encore dans plusieurs grandes religions. De volumineux traités théologiques ont été écrits sur la signification spirituelle des dons, remettant en cause l’interprétation caricaturale des non-croyants qui n’y voient qu’un moyen d’alimenter la cupidité des pasteurs, des moines ou des prêtres.

A propos de cupidité, la plupart des médias japonais et internationaux ont pris pour argent comptant les communiqués de presse et les déclarations d’une organisation appelée « National Network of Lawyers Against Spiritual Sales » (Réseau national d’avocats contre la vente de produits spirituels). Ces avocats, utilisant les arguments antisectes habituels, recherchent des donateurs de l’Église de l’Unification qui ont quitté le mouvement en vue de les recruter comme clients et d’intenter des procès pour récupérer le montant de leurs dons. Ils ont gagné certaines affaires et en ont perdu d’autres. On notera avec intérêt qu’il y a une question que les journalistes ne s’empressent pas de leur poser, c’est de savoir quel pourcentage des sommes récupérées est prélevé par ces avocats.

Les médias japonais, et dans une certaine mesure la presse internationale, sont enclins à croire les avocats qui s’opposent à l’Église de l’Unification parce qu’ils sont persuadés que les « sectes » sont mauvaises, contrairement aux religions légitimes (lesquelles sont parfois tout aussi insistantes dans leur sollicitation de dons). Le Japon a été choqué, à juste titre, par les horribles actes de violence, notamment l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995, perpétrés par un groupe qualifié de « secte », Aum Shinrikyo.

Toutefois, cela n’autorise pas les discours de haine contre des centaines de groupes non violents que certains considèrent comme « hérétiques ». Cela fait plusieurs décennies que la grande majorité des spécialistes des nouveaux mouvements religieux ont abandonné l’étiquette de « secte ». Ils ont conclu que ce terme « secte » est sans contenu significatif et qu’il est uniquement utilisé comme une arme destinée à diffamer et discriminer les minorités religieuses que certains lobbies n’aiment pas, pour une raison ou pour une autre. C’est précisément ce qui se passe avec l’Église de l’Unification au Japon.

– Massimo Introvigne, sociologue italien des religions et auteur de quelque 70 livres sur les nouveaux mouvements religieux (dont The Plymouth Brethren et Inside The Church of Almighty God, tous deux publiés par Oxford University Press, en 2018 et 2020 ; et Brainwashing : Reality or Myth ? qui vient de sortir chez Cambridge University Press) est le directeur général du CESNUR, le Centre d’études sur les nouvelles religions.

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