Dans son rapport de mars 2024, la Cour des comptes dénonçait vivement les omissions et mensonges des associations sollicitant des attributions auprès de la MIVILUDES, notamment à la suite de l’appel à projet de 2021 (les suivants n’avaient pas encore été analysés par la Cour). Le Président de la Cour des comptes Pierre Moscovici avait déclaré « c’est une affaire grave », et indiqué que le Procureur Général de la Cour des Comptes avait saisi la Chambre du Contentieux, qui allait instruire l’affaire « et éventuellement juger et condamner qui de droit ».

Cette affaire avait été mise au grand jour entre autres par les investigations menées par CAP Liberté de Conscience qui avait, dès 2022, révélé de graves irrégularités dans l’attribution et dans les demandes de subventions liées à l’appel à projet de la MIVILUDES 2021.

Une petite association lilloise, le CAFFES, reçoit 150 000 euros pour l’appel à projets 2023

On aurait pu imaginer que, sous la menace de sanctions par la Haute juridiction financière,  une plus grande prudence aurait présidé à l’attribution des subventions de la MIVILUDES pour les années suivantes. Que nenni. Ayant reçu du préfet du Nord les documents liés à l’attribution d’une subvention de 150 000 euros par la MIVILUDES en 2024 (appel à projet 2023) au profit de l’association lilloise CAFFES (Centre d’Accompagnement Familial Face à l’Emprise Sectaire)[1], CAP Liberté de Conscience a pu relever des irrégularités que nous estimons être particulièrement graves et que nous avons signalées au préfet, ainsi qu’à la Cour des Comptes et au Parquet National Financier.

 

Tout d’abord, le CAFFES compte une quinzaine de bénévoles et seulement 55 adhérents. Il s’agit donc d’une toute petite association qui ne reçoit que 730 euros de cotisations dans l’année. A titre de comparaison, l’Amicale de pétanque de Tourcoing regroupe 92 membres. Une subvention d’un montant de 150 000 euros représente donc une ressource considérable, voire complètement démesurée pour une association comme le CAFFES. Si l’importance du montant attribué ne constitue pas une irrégularité en soi, l’opportunité d’une telle générosité étatique soulève de sérieuses interrogations.

Détournement de l’objectif d’un appel à projets

Il faut bien comprendre que l’appel à projets de la MIVILUDES est, comme son nom l’indique, un appel à projets… Il a donc vocation à ne financer que des « projets » précis et déterminés pour une période donnée, et en aucune manière l’activité courante d’une association. C’est pourtant ce que financent les 150 000 euros, puisque dans sa demande le CAFFES, qui ne doute de rien, se contente de lister toutes les activités qui sont couvertes par ses statuts et les diverses descriptions qu’il fait de son activité générale. La demande du CAFFES procède donc d’un dévoiement total de l’objectif de l’appel à projets de la MIVILUDES.

Au milieu de ceci, pour noyer le poisson, le CAFFES glisse vaguement dans sa demande des « projets » qu’il prétend devoir mener.

Des « projets » déjà terminés… et déjà financés !

L’un de ces projets annoncés est une bande dessinée appelée « Opération Thomas ». Mais ce projet a déjà été achevé en 2022 grâce à une précédente subvention de la MIVILUDES ! Elle fait déjà l’objet d’une diffusion en ligne, sur le site Internet du CAFFES, en mars 2023, soit des mois avant la demande de subvention[2].

Le CAFFES évoque ensuite 5 autres projets distincts appelés BOOMERING, TALOS, PAREIDOLIA, MOOC et BLENDED LEARNING, qui correspondent en réalité à un projet unique intitulé « BOOMERING – briser les infox par l’esprit d’auto-critique »[3]. Contrairement à ce que tente de faire croire le CAFFES dans sa demande, il ne pilote aucunement ce projet et n’en constitue qu’un simple partenaire. En outre, nous lisons sur le site Internet du CAFFES lui-même que le projet a été complété au premier semestre 2023 et a été financé par l’Union européenne[4]. Dans ces conditions, la présentation du projet est purement et simplement trompeuse : la subvention de 150 000 euros allouée n’a pas pu être affectée au financement du projet « BOOMERING ».

Enfin, le CAFFES évoque un « film de prévention » et « court-métrage » qui en fait consistent en de brefs segments vidéo, faisant intervenir un membre de la CAFFES. Ces vidéos sont tournées en plan fixe, au téléphone portable, puis téléversées sur YouTube. Ces vidéos amateures n’appellent aucune compétence ni matériel professionnel. Ces vidéos totalisent à ce jour entre 14 et 46 vues – dont les nôtres –à l’exception d’une vidéo à succès qui totalise péniblement… 108 vues. Le compte YouTube officiel du CAFFES a 4 abonnés. Il faut en déduire que même les adhérents du CAFFES ne visionnent pas ces vidéos très décidemment très confidentielles. Ici encore, la subvention allouée de 150 000 euros n’a pas été affectée à la réalisation de ces vidéos.

Récapitulons : sur les trois projets censés justifier 150 000 euros de subvention, deux avaient déjà été entièrement financés par d’autres sources au moment de la demande, et un autre consistait en quelques vidéos amateures tournées sans frais au smartphone dans un bureau et postées telles quelles sur YouTube.

Financer son fonctionnement courant

Nous soupçonnons enfin fortement le CAFFES de s’affranchir de l’interdiction d’utiliser plus de 10% de la subvention en charges de fonctionnement administratif courant, dans la limite de 5 000 euros, telle que prévue à l’article 3 de la convention d’attribution. En effet, afin d’éluder cette interdiction, le CAFFES croit pouvoir déclarer que son « projet » sera mené sans « charges fixes de fonctionnement » (p.7 du formulaire). Pour autant, les salaires, la location des locaux, les assurances et divers services courants sont de toute évidence financés par les sommes recueillies grâce à la subvention, pour un montant largement supérieur à 5 000 euros (le budget associé au « projet » prévoit 162 000 euros de charge de personnel ! Pour 3,5 salariés ?).

A noter par ailleurs que ces 150 000 euros ne sont qu’une partie du financement étatique du CAFFES, puisqu’en 2023, l’association a reçu en tout 235,000 euros de subventions étatiques (des demandes sont présentées tous azimuts à de nombreux services de l’État, avec à chaque fois les mêmes « projets » décrits), ce qui représente 92% de son budget annuel.

Pour finir, la MIVILUDES impliquée ?

Pour faire simple, vous avez une micro-association lilloise qui, pour obtenir un financement énorme de 150 000 euros auprès de la MIVILUDES, n’hésite pas à présenter des projets qui n’existent plus, qui ont déjà été financés par d’autres appels à projet, et qui finalement reçoit des centaines de milliers d’euros de l’État grâce à des manœuvres douteuses  pour payer son personnel grassement et continuer d’exister sur le dos du contribuable. Voici encore une association qui se croit dispensée de respecter la loi, et n’hésite pas à tromper l’Etat  pour obtenir l’argent public sans laquelle elle n’existerait pas, faute de soutien du public.

Et que fait la MIVILUDES, pourtant alertée depuis plusieurs années des irrégularités de son fonctionnement dans l’attribution de subventions ? Elle donne, elle distribue, elle dilapide, elle finance ces associations sous perfusion pour lutter contre le vertige du vide. En effet, si la MIVILUDES cessait de soutenir ces associations à bout de souffle, ces dernières disparaitraient rapidement car elles n’ont visiblement pas la crédibilité suffisante pour mobiliser le public et susciter les dons. En d’autres termes, le jour où la MIVILUDES se montre plus rigoureuse et plus vigilante dans l’application de la règle de droit, le petit club très fermé d’associations qui bénéficient des largesses de la MIVILUDES s’effondrera Cela entrainerait alors une réforme de la politique de lutte contre les dérives sectaires. Mais le cercle des associations bénéficiaires – gardiennes du coffre – veillent à ce qu’une telle éventualité ne se matérialise pas, quitte à ignorer les messages pourtant limpides de la Cour des comptes

Était-il difficile ici de se rendre compte des artifices de présentation du du CAFFES ? Eh bien, cela nous a pris quelques heures pour établir et documenter le pot au rose. Quelques clics, quelques recherches, et tout apparaît. C’est bien entendu le travail qui aurait dû être mené dès le départ par les services de la MIVILUDES. Encore faut-il le vouloir.

A Propos de CAP LIBERTÉ DE CONSCIENCE

L’association CAPLC (Coordination des Particuliers et des Associations pour la Liberté de Conscience), est une association à but non lucratif d’intérêt général fondée en 1995. Elle est indépendante et non confessionnelle. Reconnue internationalement, elle bénéficie du statut consultatif auprès de l’Organisation des Nations Unies.

Face à la multiplication des atteintes à la liberté de conscience dans le monde, CAP Liberté de Conscience n’a de cesse non seulement d’alerter les pouvoirs publics et les instances internationales des dangers encourus par ceux qui sont persécutés pour leurs convictions, mais aussi d’agir pour protéger les libertés fondamentales de tous.

Ces dernières années, CAP Liberté de Conscience a organisé des dizaines de conférences pour défendre des minorités de conviction persécutées dans des pays comme la Chine, le Pakistan, l’Éthiopie, le Soudan, la Russie, l’Arabie Saoudite, etc.

CAP Liberté de Conscience a notamment alerté les autorités internationales et organisé des conférences sur la situation des communautés des Ahmadis et des Baloutches persécutées par le gouvernement pakistanais, sur les exactions subies par les populations de l’Ahmara (orthodoxes) au cœur du conflit du Tigré en Éthiopie, sur les persécutions des Sikhs dans le monde et notamment en Afghanistan, sur la situation des Ouïgours en Chine et celle des femmes en Afghanistan, la transplantation d’organes forcée en Chine, le génocide Tamoul, et de nombreuses autres situations où les libertés fondamentales sont bafouées.

Le travail de CAP Liberté de Conscience est reconnu. A titre d’exemple, Le 15 mars 2022, le rapporteur de l’ONU sur les minorités, Fernand de Varennes, a rendu son rapport annuel au Conseil des Droits de l’Homme. Le rapporteur mentionne dans son rapport la conférence sur la situation des Ahmadiyya organisée par CAP Liberté de Conscience à laquelle il a participé.

A la suite de la conférence, les quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU qui y avaient participé ont publié une déclaration commune en demandant au Pakistan de stopper la persécution des Ahmadiyya.

En ce qui concerne la France, CAP Liberté de Conscience a presque 30 ans d’expérience en ce qui concerne la situation des minorités religieuses et de conviction, et s’est toujours battue contre les discriminations qui existent dans notre pays. Elle milite pour faire évoluer les consciences et offre son expertise pour que les politiques publiques soient plus respectueuses des libertés fondamentales.

[1] Demande faite le 1er décembre 2023, et convention signée le 5 juillet 2024

[2] A la page 10 de son rapport d’activités 2023, le CAFFES écrit: “ Notre BD « Opération Thomas » parue en mars 2023 avec l’ajout d’un 4ème chapitre offrant des pistes d’accompagnement pour des proches ayant basculé sous emprise sectaire. Le design a également été remasteurisé. Mise en ligne sur notre site internet dans son entier, cette BD est à votre disposition et téléchargeable via ce QR Code…”

[3] https://www.boomering-project.org

[4] https://caffes.fr/projet-boomering-lutter-contre-la-desinformation

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