Au départ, une vengeance personnelle d’un universitaire condamné à quatre mois de prison avec sursis pour harcèlement

Par Willy Fautré, directeur de Human Rights Without Frontiers

Cet article a d’abord été publié en anglais par The European Times le 16 septembre 2024: https://europeantimes.news/fr/2024/09/france-yoga-disproportionate-raids-abuses-settlement-scores/

Le 28 novembre 2023, peu après 6 heures du matin, une équipe d’intervention des forces de police d’environ 175 agents portant des masques noirs, des casques et des gilets pare-balles, a fait irruption simultanément dans huit maisons et appartements distincts à Paris et en région parisienne, ainsi qu’à Nice. Ils brandissaient des fusils semi-automatiques, criaient, faisaient un énorme vacarme, enfonçaient les portes et mettaient tout sens dessus dessous.

À titre de comparaison, à la fin du mois d’août 2024, le parquet antiterroriste français a engagé environ 200 policiers à la poursuite d’un suspect qui avait tenté d’incendier une synagogue dans la ville de la Grande-Motte, dans le sud de la France, provoquant une explosion, blessant un policier et détruisant plusieurs voitures à proximité.

Les raids de novembre 2023 n’étaient pas une opération contre un groupe terroriste ou armé ou bien un cartel de la drogue. Il s’agissait d’un raid visant huit résidences privées principalement utilisées par de paisibles pratiquants de yoga roumains.

La plupart d’entre eux avaient choisi de joindre l’utile à l’agréable en France : pratiquer le yoga et la méditation dans des villas ou des appartements mis gracieusement à leur disposition par leurs propriétaires ou locataires amis, principalement des pratiquants de yoga d’origine roumaine, et profiter en même temps d’environnements pittoresques, naturels ou autres.

Le premier objectif de l’opération était d’arrêter des personnes impliquées dans la “traite des êtres humains”, la “séquestration” et l’”abus de faiblesse” en bande organisée. Le second objectif était de sauver les victimes de ces activités illégales, mais il n’y avait pas de victimes.

Une cinquantaine d’entre eux se trouvaient par hasard au mauvais endroit au mauvais moment et n’avaient rien à voir avec le mandat de perquisition justifiant l’opération.  En tout état de cause, elles ont été victimes de l’intervention de la police puisqu’elles ont été maintenues en garde à vue dans des conditions inhumaines et humiliantes pendant deux jours et deux nuits, voire plus dans certains cas, pour des interrogatoires. Human Rights Without Frontiers a interrogé une vingtaine de victimes des descentes de police et des abus, en particulier à Villiers-sur-MarneButhiers et Vitry-sur-Seine. Aucune d’entre elles et d’autres n’a été interviewée par les médias français.

Les pratiquants de yoga roumains n’ont pas été traités avec le même respect et la même humanité que Pavel Durov, le grand patron du célèbre média social Telegram, lorsqu’il a été arrêté à la fin du mois d’août 2024, à la descente de son jet privé à Paris. Après quatre jours de garde à vue et d’interrogatoire, il a été libéré sous caution malgré 12 chefs d’accusation graves – pédopornographie, complicité de trafic d’armes et de stupéfiants en tout genre pour avoir volontairement omis de réguler Telegram selon la loi française. Les autorités l’ont placé sous contrôle judiciaire au risque de le laisser s’échapper comme a réussi à le faire l’homme d’affaires libanais Carlos Ghosn, en se dissimulant dans une grande boîte expédiée comme fret à bord d’un jet privé, alors qu’il était assigné à résidence au Japon dans l’attente de son procès en 2019. Deux poids, deux mesures. “Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements des tribunaux vous rendront blanc ou noir…”, écrivait le célèbre écrivain français La Fontaine dans l’une de ses nombreuses fables.

Les témoignages recueillis par Human Rights Without Frontiers sur les conditions inhumaines et humiliantes de la garde à vue des pratiquants roumains de yoga détenus et interrogés par la police française après les raids de novembre 2023 ont été confirmés par une chercheuse canadienne. Il s’agit de Susan J. Palmer, professeure affiliée au Département Religions et Cultures de l’Université Concordia à Montréal, qui dirige également le projet Children on Sectarian Religions and State Control à l’Université McGill. Elle a publié ses propres conclusions après avoir interrogé en Roumanie des pratiquants de yoga qui avaient été arrêtés et maintenus en détention en France : Les descentes de police contre MISA en France : Récits contradictoires– Les étudiants de la MISA racontent leur histoire – Les plaintes des yogis contre la police – La MIVILUDES derrière les raids.

La question soulevée par ce document est la suivante : “Quelle est l’origine d’une opération de police aussi disproportionnée visant des pratiquants de yoga ?”

À l’origine, un chercheur universitaire condamné pour harcèlement à l’encontre d’une collègue

Selon les médias français, c’est un chercheur en médecine de l’université d’Angers, Hugues Gascan, qui est à l’origine des descentes de police à grande échelle visant des pratiquants de yoga.

Ses publications dans des revues académiques, évaluées positivement par des pairs, montrent qu’il s’agit d’un scientifique estimé, a déclaré Massimo Introvigne dans Bitter Winter. Certains de ses premiers articles ont été rédigés en collaboration avec une collègue, P.J., et d’autres.

À un certain moment, un désaccord est apparu entre Gascan et P.J. au sujet des thérapies alternatives pour le cancer et peut-être sur d’autres sujets. Gascan a accusé P.J. d’être influencée par son appartenance à une “secte” dirigée par un professeur de yoga tantrique canadien.

Le conflit au sein du laboratoire est devenu si aigu que l’université d’Angers a décidé en 2012 de fermer le centre de recherche où Gascan et P.J. avaient travaillé. M. Gascan se présente aujourd’hui comme la victime d’une “infiltration sectaire” dans son laboratoire, mais les documents judiciaires racontent une autre histoire.

Sa collègue P.J. a porté plainte contre lui pour “harcèlement moral” et l’a fait condamner en première instance, puis en appel, et enfin par la Cour de cassation le 14 mai 2013, qui a confirmé la peine de quatre mois de prison avec sursis. Le terme “harcèlement” a été utilisé 11 fois dans le jugement final.

Selon les décisions de justice, il a également harcelé d’autres employés de son laboratoire. Plusieurs personnes de l’université ont témoigné qu’elles avaient personnellement été soumises à un schéma similaire de dénigrement de leur travail et à diverses formes d’intimidation qui ont conduit à leur isolement du groupe et à leur renvoi du département.

Les juges ont également noté qu’un examen psychologique médico-légal de P.J. avait confirmé qu’elle était en bonne santé mentale, et que même l’agence gouvernementale anti-sectes, la MIVILUDES, avait rapporté qu’aucune dérive sectaire n’avait été identifiée dans son comportement.

Cette expérience semble avoir développé chez Gascan une haine profonde des groupes de yoga tantrique.

Gascan et la MIVILUDES à l’origine des descentes de police massives

Après cet échec, Gascan a déclaré la guerre aux sectes. En 2022, il a créé un petit groupe anti-sectes confidentiel de deux personnes appelé GéPS (Groupe d’étude du phénomène sectaire). Ce “groupe” est resté quasiment inconnu jusqu’en novembre 2023, n’a pas de site web ni de rapport d’activités public, mais en surfant sur la vague anti-sectes en France on attire facilement l’attention des médias de manière positive. C’était une façon pour Gascan d’enterrer dans les sables de l’oubli ses ennuis judiciaires et sa condamnation à quatre mois de prison avec sursis, et de restaurer son image publique personnelle.

Il s’est vanté dans les médias français, comme Le Point et Nice-Matin, d’avoir enquêté pendant dix ans sur les activités en France du groupe roumain de yoga tantrique MISA, fondé par Gregorian Bivolaru, qui avait été accusé de l’utiliser pour commettre des abus sexuels. En outre, il affirme avoir fourni des témoignages et des documents de recherche à la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), mais ceux-ci n’ont jamais été présentés dans aucun procès. Ses déclarations tonitruantes lui ont valu d’être porté au pinacle par certains médias en mal de sensationnel comme “l’homme qui a fait tomber MISA”.

Selon lui, le président de la MIVILUDES de l’époque, Hanène Romdhane, a transmis ses rapports à Claire Lebas de la Cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires (Caimades) et de là, au commandant Franck Dannerolle, chef de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP). Il en est résulté les descentes de police du 28 novembre 2023 dans huit maisons et appartements à Paris et en région parisienne, mais aussi à Nice, a déclaré M. Gascan.

Alors que les lecteurs des médias français sont amenés à croire que cette opération est le résultat d’un travail à la Sherlock Holmes de la part du GéPS, les histoires sensationnelles et les accusations qu’il a partagées avec certains journalistes étaient connues depuis des années par les autorités françaises. A ce stade, les accusations de traite des êtres humains et d’abus sexuels sur des femmes étrangères n’ont jamais été confirmées par une décision de justice en Europe.

En outre, deux chercheurs ont étudié les témoignages des soi-disant victimes d’abus sexuels et ont souligné leur manque de fiabilité : le chercheur italien Massimo Introvigne dans son livre Sacred Eroticism : Tantra and Eros in the Movement for Spiritual Integration into the Absolute (MISA) (Milan et Udine : Mimesis International, 2022) et la suédoise Liselotte Frisk, aujourd’hui décédée, dans ses recherches sur le cas de femmes finlandaises affirmant avoir été victimes d’une agression sexuelle.

Dans le récit public de Gascan, il n’y a rien de nouveau, si ce n’est l’affirmation selon laquelle, en novembre 2023, plusieurs femmes auraient été retenues captives dans huit maisons et appartements en France pour être abusées sexuellement par Bivolaru.

De manière surprenante pour les 175 policiers portant des gilets pare-balles et armés de fusils semi-automatiques, aucune des femmes qui auraient été “libérées” et interrogées par la police n’a confirmé l’histoire de Gascan, mais par contre de nombreuses femmes ont été victimes de gardes à vue abusives dans des conditions humiliantes et traumatisantes, au cours desquelles de graves violations de la loi ont été commises, comme l’a révélé Human rights Without Frontiers lors d’entretiens avec une vingtaine de pratiquantes de yoga.

La question de savoir si la fausse histoire de Gascan concernant les allégations de traite et de séquestration de plusieurs femmes étrangères pour abus sexuels en France a réellement influencé la MIVILUDES et les autorités judiciaires françaises dans la décision qui a été prise de lancer une opération d’une telle ampleur ne faisant aucune victime ne pourra être vérifiée que si l’accès à des documents administratifs clés de la MIVILUDES est accordé aux chercheurs.

La version française est de CAP Liberté de Conscience

 

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