29/03/2021 Massimo Introvigne

Source : Bitter Winter https://bit.ly/3whX1Yj

Au stade de la commission des lois, ils ont introduit des modifications positives et négatives et en ont adopté certaines. Le texte sera soumis à l’examen du Sénat le 30 mars.

Il y a un mois encore, les grands médias internationaux publiaient presque quotidiennement des articles sur le projet de loi français contre le « séparatisme », rebaptisé « Loi pour le respect des principes républicains ». Avec quelques collègues, j’avais publié un premier « Livre blanc » soulignant les problèmes pour la liberté religieuse dans le texte original, et un second suggérant que la loi peut offrir une opportunité positive de dépasser la définition restrictive de « religion » qui prévaut dans la jurisprudence française.

Finalement, les objections des universitaires français et internationaux, après que le Conseil d’État français ait fait des remarques similaires, ont été entendues par le gouvernement qui a modifié le texte en éliminant les dispositions les plus controversées. La loi a ensuite été approuvée en première lecture par l’Assemblée nationale et envoyée au Sénat, où elle a été examinée par la commission des lois. Elle sera examinée par le Sénat le 30 mars, et la discussion devrait se poursuivre jusqu’au 8 avril.

Après son approbation par le Sénat, le projet de loi sera soumis à une commission mixte (composée de sénateurs et de membres de l’Assemblée, en nombre égal). S’ils parviennent à un consensus, ce sera la fin du processus législatif. Dans le cas contraire, le texte retournera à l’Assemblée, puis au Sénat, et enfin à nouveau à l’Assemblée, qui aura le dernier mot. A chaque étape de cette « navette », des amendements peuvent être introduits. La plupart de ceux à  examiner lors de la discussion au Sénat ont déjà été déposés.

Le fait que les médias internationaux, confrontés à ce processus long et compliqué, aient quelque peu perdu patience et ne mentionnent plus que rarement la loi française, n’est pas une évolution positive. La critique internationale, même si elle est régulièrement rejetée par certains politiciens français comme une ingérence indue, a probablement joué un rôle dans l’adoption de certains amendements positifs. Par exemple, la Commission des lois a éliminé l’interdiction presque totale de l’enseignement à domicile, une disposition souvent mentionnée dans la critique internationale du projet de loi.

Toutefois, un amendement adopté par la même Commission des lois est préoccupant. Dans le texte approuvé par la Commission, il y a un nouvel article 8 bis A, qui se lit comme suit : « L’article 3 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association est modifié comme suit : 1. La première occurrence du mot « ou » est remplacée par le signe : « , » ; 2. Après le mot « objet », sont insérés les mots « ou ayant une activité ». » Il s’agit là d’un jargon législatif typique, difficilement compréhensible pour les profanes, mais qui cache un danger pour la liberté d’association. En effet, si la disposition se réfère à la loi de 1901, elle concerne également les associations religieuses constituées sous le régime de la loi de 1905. Et de toute façon, pour des raisons que nous avons expliquées dans le deuxième Livre blanc, un certain nombre de groupes religieux décident cependant de se constituer en association de la loi de 1901.

L’article 3 de la loi de 1901 déclare nulle ex tunc (terme juridique signifiant «dès le départ») la constitution d’une association dont « l’objet » est contraire aux lois ou aux bonnes mœurs. Cette nullité entraîne une dissolution quasi-automatique. L’amendement interdit les associations qui ont « un objet ou des activités » illégales ou contraires aux bonnes mœurs. L’effet sera que les associations occasionnellement accusées d’activités illégales ou « immorales », même si cela ne font pas partie de leurs « objectifs », pourraient être dissoutes. Compte tenu du climat d’hostilité qui prévaut en France à l’égard des minorités religieuses, notamment celles qualifiées de « sectes », il ne serait pas difficile d’accuser un groupe religieux impopulaire d’activités illégales ou (plus ou moins occasionnellement) « immorales ». L’amendement soulève également des questions de constitutionnalité. Peut-être un contre-amendement permettra-t-il de s’en débarrasser.

Certains amendements vraiment mauvais seront également discutés au Sénat. Le sénateur socialiste Jean-Yves Roux, par l’amendement 280, veut introduire un nouveau délit de « comportement sectaire », défini comme « la poursuite d’activités ayant pour but de porter atteinte aux principes fondamentaux de la République que sont la liberté, l’égalité, la fraternité et la dignité de la personne humaine, aux symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, ou de mettre en cause le caractère laïque de la République ». Le nouveau délit sera puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. M. Roux explique que l’amendement vise « l’extrémisme » et le « séparatisme », habituellement des mots codés pour désigner l’islam radical, mais il précise qu’il le fait en « travaillant sur les sectes. » Le texte est si vague, et si manifestement contraire aux principes soulignés par l’avis du Conseil d’État, que ses chances d’être adopté devraient être minimes.

L’amendement 178 de la sénatrice Valérie Boyer, du parti républicain conservateur, est plus dangereux. Elle tente de réintroduire la possibilité d’une dissolution administrative rapide des associations, y compris les associations religieuses, qui portent atteinte à la « dignité humaine », à la « liberté de conscience » ou qui utilisent des techniques de « pressions psychologiques. » Il s’agit là d’un jargon anti-sectes standard, et ces dispositions faisaient partie du projet de loi initial avant d’être supprimées par le gouvernement suite à l’avis du Conseil d’État.

La même Valérie Boyer a introduit un autre amendement dangereux, le 182, qui vise à créer le délit de « déclaration publique d’apostasie ». Il s’agit d’une déclaration qui n’est pas accompagnée de violence ou d’une incitation à la violence (laquelle entraînerait une peine de 7 ans de prison et une amende de 70 000 euros). Lorsqu’il n’y a pas d’incitation à la violence, mais seulement une déclaration faisant de l’apostasie « un crime », la peine est de 5 ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende.

Il s’agit en effet des amendements les plus dangereux de tous. Cela risque de devenir populaire parce que cela vise ostensiblement l’Islam, et ces écoles islamiques radicales qui appellent à la décapitation des apostats. Il a peut-être été influencé par les récentes controverses concernant les Témoins de Jéhovah. Cependant, la sénatrice Boyer ne réalise peut-être pas que le crime de « déclarer publiquement l’apostasie comme un crime » est commis quotidiennement par des professeurs catholiques romains qui enseignent le droit canonique en France, ou distribuent des copies du Code de Droit Canonique. Le Canon 1364 définit clairement l’apostasie de l’Église catholique comme un crime (delictum). Le crime d’apostasie est traité par le droit pénal canonique. Cette déclaration selon laquelle l’apostasie est un crime est faite très publiquement, et figure même sur le site Web officiel du Vatican. Ceci est paradoxal, étant donné que la sénatrice Boyer « déclare publiquement » son catholicisme, et s’inquiète des attaques anti-religieuses contre la liberté des catholiques en France. Il semble qu’elle ne connaisse pas sa propre Église, et il existe des dispositions similaires sur l’apostasie dans de nombreuses autres religions, faisant de l’amendement 182 un grave danger pour la liberté religieuse.

Nous voulons encore croire que le Sénat pourra profiter de la discussion pour élargir la définition de religion par rapport à la jurisprudence française actuelle, comme nous l’avions suggéré dans le deuxième Livre blanc. Cependant, certains amendements vont dans le sens contraire.

L’amendement 138 de la sénatrice Nathalie Delattre, du mouvement radical social-libéral, veut définir l’association religieuse de la loi de 1905 comme celle qui «  a pour objet la célébration de cérémonies organisées pour l’accomplissement, par des personnes unies par une même croyance religieuse, de certains rites ou pratiques. » L’amendement 357 du sénateur Sébastien Meurant du parti Les Républicains, veut également définir les associations religieuses comme celles qui ont pour objet « la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou pratiques. »

Ceci est conforme à la jurisprudence française, et suit littéralement un ancien avis du Conseil d’Etat daté du 24 octobre 1997. Cependant, cette ancienne jurisprudence est aujourd’hui en contradiction avec le pluralisme religieux du 21ème siècle, qui inclut des groupes reconnus par une grande majorité de spécialistes comme religieux dont le but principal n’est pas « la célébration de cérémonies », les groupes bouddhistes promouvant la méditation individuelle plutôt que les rites collectifs en sont un exemple évident. Les amendements 138 et 357 cristalliseront la situation existante, qui suit un modèle dépassé basé sur les églises chrétiennes. L’occasion historique d’utiliser la nouvelle loi pour introduire un concept plus moderne de la religion sera une fois de plus manquée.