Par Willy Fautré, directeur de Human Rights Without Frontiers
Les 20 et 26 décembre 2024, le tribunal de la ville de Tbilissi a tenu des audiences pour décider si la Géorgie devait extrader Mihai Stoian et son épouse Adina, arrêtés en août 2024 à la frontière turco-géorgienne sur la base d’un mandat d’arrêt d’Interpol émis à la demande de la France.
Quelques jours après la mi-décembre, je me trouvais à Tbilissi pour The European Times afin de couvrir la situation politique instable et les manifestations se déroulant dans le pays à la suite des résultats contestés des élections législatives et de l’élection également contestée, qui s’en est suivie, d’un nouveau président pro-Kremlin par le nouveau parlement. A cette occasion, j’ai publié deux articles intitulés « Géorgie : l’élection d’un ex-footballeur comme nouveau président est conspuée par les manifestants » et « Géorgie : violences policières à Tbilissi alors que la présidente Zourabichvili appelle à une action rapide de l’UE ». J’ai également profité de ma présence à Tbilissi pour rencontrer des acteurs étatiques et non étatiques ainsi que des avocats impliqués dans l’affaire des Stoian et pour recueillir des informations inédites sur le couple. Un membre de leur famille se trouvait également à Tbilissi.
À la fin de la deuxième audience, qui a eu lieu après mon départ de Géorgie, le tribunal a estimé qu’une troisième audience était nécessaire pour tenter de résoudre une question cruciale : l’interprétation des débats et la traduction en roumain des documents judiciaires imprimés ou écrits, comme le demandaient instamment Mihai, son épouse et leurs avocats, au lieu de la langue anglaise imposée jusqu’alors par les autorités judiciaires.
Le tribunal a estimé que Mihai et son épouse maîtrisaient suffisamment l’anglais en raison de leurs activités internationales, mais leur contre-argument était que le langage juridique et judiciaire utilisé au cours de la procédure et interprété en anglais leur était étranger et les exposait au risque de ne pas comprendre les implications de ce qu’ils pourraient être amenés à accepter et à signer.
La double traduction de questions complexes, d’abord par l’interprète géorgien-anglais et ensuite par eux-mêmes dans leur propre langue (le roumain), ouvrait de facto la porte à des inexactitudes et à des malentendus à deux niveaux de compréhension et pouvait conduire à une erreur judiciaire dont ils seraient les victimes, ont-ils fait valoir.
Le contexte de l’arrestation de Mihai Stoian et de son épouse
Le 28 novembre 2023, des forces spéciales d’intervention d’environ 175 policiers portant des masques noirs, des casques et des gilets pare-balles ont opéré plusieurs descentes simultanées à 6 heures du matin dans huit maisons et appartements distincts à Paris et en région parisienne, mais aussi à Nice, où des pratiquants de yoga roumains avaient décidé de faire une retraite spirituelle. Les forces de police ont alors brandi des fusils semi-automatiques, en criant, en faisant du vacarme, en enfonçant des portes et en mettant tout sens dessus dessous.
La plupart des pratiquants de yoga roumains présents avaient choisi de joindre l’utile à l’agréable en France : yoga et méditation dans des villas ou des appartements mis gracieusement à leur disposition par leurs propriétaires ou leurs locataires, qui étaient pour la plupart eux-mêmes des pratiquants de yoga d’origine roumaine, tout en profitant d’environnements pittoresques, naturels ou autres.
Il s’agissait d’experts en informatique, d’ingénieurs, de designers, d’artistes, de médecins, de psychologues, d’enseignants, d’étudiants et de lycéens, etc.
Une cinquantaine de pratiquants de yoga de tous âges ont été emmenés dans des postes de police pour y être interrogés, la plupart d’entre eux étant maintenus en garde à vue pendant deux jours, voire plus. En novembre 2024, j’ai publié dans The European Times un article intitulé « Police raids on Romanian yoga centers in France, one year later » à ce sujet.
Les perquisitions du 28 novembre 2023 n’étaient pas une opération contre un groupe terroriste ou armé ou un cartel de la drogue. Il s’agissait de raids visant huit lieux privés, principalement utilisés par de paisibles pratiquants roumains de yoga, mais la police soupçonnait ces lieux d’être utilisés pour couvrir des activités illégales : traite d’êtres humains, exploitation sexuelle et séquestration. C’était l’accusation officielle portée contre Gregorian Bivolaru, le fondateur du groupe de yoga roumain MISA, et quelques autres personnes qui furent placées en détention provisoire en France à la suite de ces descentes de police.
Le mandat d’arrêt contre les Stoian, transmis de Paris à Tbilissi par l’intermédiaire d’Interpol, comportait les mêmes accusations, bien qu’ils n’aient pas été en France au moment des descentes de police, ou avant, qu’ils n’aient jamais eu d’activité de yoga en France et qu’aucun pratiquant de yoga n’ait déposé de plainte contre eux. Dans les médias français, ils ont été dépeints à plusieurs reprises comme des criminels, sans aucune preuve, mais qui est Mihai Stoian ?
Milieu familial et social
Mihai Stoian est né le 27 janvier 1969 à Bucarest dans une société athée. Le pays était alors sous le règne de Ceaucescu, le président communiste de la Roumanie qui allait être renversé 20 ans plus tard.
Sa mère, G. Stoian, était comptable. Son père, Zaharia Stoian, est né en 1938 dans une famille de paysans de 11 enfants dans le village de Comosteni, dans le comté de Dolj. Son père a fréquenté la faculté de mathématiques de Bucarest en 1962 où il a été admis à présenter sa thèse de doctorat en 1966. Par la suite, il a enseigné en tant que professeur de mathématiques à la même université ainsi qu’à l’université polytechnique de Bucarest entre 1962 et 2009. En raison de son expérience, il a été proposé pour enseigner à la faculté d’électronique de Kinshasa (Zaïre), où il est resté deux ans (1974-1976).
Dans les années 90, après l’effondrement du régime de Ceaucescu, il a commencé à pratiquer le yoga avec ses deux fils, Mihai et Jan, et a participé aux cours de l’école de yoga MISA. Pendant un certain temps, il a été instructeur de Hatha Yoga à Ploiesti. Après 14 ans de pratique, il a pris sa retraite, comme il l’avait fait pour sa carrière d’enseignant en tant que professeur de mathématiques dans diverses universités.
Études et activités professionnelles de Mihai Stoian
Au début de sa vie, Mihai Stoian a étudié à l’université polytechnique de Bucarest, fondée en 1818 et affiliée à l’Association européenne pour l’éducation internationale (EAIE). En 1993, il a obtenu un diplôme en physique nucléaire et en technologie nucléaire.
Pendant plusieurs années, il a travaillé comme chercheur scientifique à l’Institut de recherche en intelligence artificielle « Mihai Draganescu », créé en 1994 au sein de l’Académie roumaine des sciences (*), fondée en 1866 sous le nom de Société littéraire roumaine.
Mihai Stoian a reçu le prix de l’Académie roumaine pour son activité scientifique en 2001, qui comprenait la publication de huit articles dans le domaine des langages formels et des méthodes d’optimisation pour des algorithmes interactifs.
Tout en travaillant comme chercheur, il a également enseigné les fondamentaux sur les micro-processeurs à la Faculté d’électronique et de télécommunications de l’Université polytechnique de Bucarest (1999-2002).
Mihai Stoian et son engagement pour le yoga
En 1989, il a entendu parler du mouvement de yoga MISA (Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu) et plus tard, il a rencontré Gregorian Bivolaru, le chef spirituel de MISA, qui fonda officiellement l’association en 1990. Avant le COVID, environ 30 000 pratiquants suivaient ses enseignements à travers le monde.
Après avoir obtenu son diplôme universitaire en 1993, il a cofondé et dirigé Soteria Didact, une organisation à but non lucratif spécialisée dans la production de matériel d’enseignement du yoga (1994-1996). Ensuite, il a cofondé et dirigé la maison d’édition Ganesha, pour l’impression d’ouvrages alternatifs sur le développement personnel (1996-2001).
En 2001, il s’est marié dans une église orthodoxe avec Adina, une autre pratiquante de yoga chez MISA. Ensemble, ils ont créé un programme et un service de conseil pour des couples et des individus en matière d’amour et d’intimité.
En 2002, Mihai Stoian et son épouse se sont installés au Danemark et, à partir de 2003, il est devenu le professeur principal du Natha Yoga Center, une organisation à but non lucratif consacrée au développement personnel.
En 2006, les méthodes d’enseignement de Mihai Stoian ont attiré l’attention d’ATMAN, la Fédération internationale de yoga et de méditation, avec laquelle il a collaboré de temps à autre. La fédération ATMAN a été officiellement enregistrée en 2004 au Royaume-Uni par des professeurs de yoga et de développement personnel.
De 2009 jusqu’à son arrestation en Géorgie en août 2024, Mihai Stoian a participé au programme de yoga et de développement personnel de la fédération ATMAN, en fournissant des consultations et du matériel pédagogique.
Outre les cours de yoga, il a donné des séries de conférences sur des sujets tels que la science du succès, la maîtrise du stress, la science quantique, les clés de la relation de couple et la nature de la conscience.
Mihai Stoian et son épouse s’opposent à leur extradition vers la France, affirmant qu’ils n’étaient impliqués dans aucune activité de yoga dans ce pays ni dans aucune activité illégale telle que mentionnée dans le mandat d’arrêt d’Interpol, qu’ils n’avaient rien à voir avec les descentes de police massives dans les centres de yoga le 28 novembre 2023 qui ont conduit à plusieurs arrestations et à des cas de détention provisoire, et qu’aucun pratiquant de yoga n’avait déposé de plainte contre lui ou son épouse.
Note : Cet article a d’abord été publié en anglais par The European Times le 20 janvier 2025.