Loi française sur le séparatisme : Le « Oui, mais » du Conseil constitutionnel
19/08/2021Massimo Introvigne
Le Conseil déclare certaines dispositions de la loi inconstitutionnelles et demande d’en appliquer des autres avec modération.
par Massimo Introvigne
Les lecteurs de Bitter Winter ont peut-être suivi la longue saga de la loi française sur le « séparatisme », rebaptisée par le gouvernement « Loi confortant le respect des principes de la République ». La loi a été votée le 23 juillet 2021, mais plus de soixante députés, et plus de soixante sénateurs, ont demandé au Conseil constitutionnel de réexaminer sept articles pour d’éventuelles questions de constitutionnalité. Le 13 août 2021, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision. Il a déclaré deux articles inconstitutionnels en totalité, et un article partiellement, et a dicté des règles d’interprétation pour les autres articles.
Si les médias français ont interprété cette décision comme un « feu vert » pour la loi, l’histoire ne s’arrête pas là. Le Conseil constitutionnel a examiné les articles dénoncés comme possiblement inconstitutionnels par les députés et sénateurs qui ont demandé son intervention. Il aurait eu le pouvoir d’examiner d’office tous les autres articles, dont certains en réponse aux « contributions extérieures » qu’il a reçues. Tout citoyen français peut adresser des « contributions extérieures » au Conseil constitutionnel, mais celui-ci n’est pas obligé d’en tenir compte. Dans le cas présent, il a décidé d’aller au-delà des demandes des députés et des sénateurs pour n’examiner d’office qu’une seule disposition, portant sur les activités des conseils locaux de sécurité, et de la déclarer inconstitutionnelle en raison non pas de son contenu mais de la procédure adoptée pour l’approuver.
En conséquence, les articles de la prétendue loi sur le séparatisme peuvent être divisés en quatre groupes. Tout d’abord, il y a les articles, et parties d’articles, que certains députés et sénateurs ont critiqués comme pouvant être inconstitutionnels alors que le Conseil constitutionnel les a déclarés constitutionnels. Il s’agit notamment des dispositions de l’article 16 permettant la dissolution administrative des associations responsables ou incitant à la violence physique. Dans leur texte définitif, ces dispositions permettent aux associations, avant leur dissolution par décret du Président de la République, de se défendre et de former un recours devant un tribunal administratif contre cette décision. Le Conseil constitutionnel a également noté que, par rapport aux versions précédentes du texte, les motifs de dissolution ne font plus référence qu’aux violences physiques (heureusement, les références aux « atteintes à la dignité humaine » et aux « violences psychologiques » que certains hommes politiques envisageaient d’utiliser contre les prétendues « sectes » ont disparu). Il est vrai que les associations sont responsables du comportement de leurs membres, ce qui a été critiqué par les députés et les sénateurs qui soupçonnaient la disposition d’être inconstitutionnelle, mais la responsabilité est limitée aux cas dans lesquels les organisations sont en mesure de contrôler leurs membres et omettent volontairement ce contrôle.
Deuxièmement, les articles, ou parties d’articles, déclarés inconstitutionnels. Il s’agit notamment des dispositions de l’article 16 qui auraient permis au ministre de la Justice, lorsqu’une procédure de dissolution a été engagée mais n’a pas encore abouti, de suspendre les activités d’une association pour une durée maximale de six mois. Selon le Conseil constitutionnel, cela détruirait le principe de la liberté d’association, car une longue suspension porterait un préjudice irréparable à une association et serait prononcée, en raison de cette disposition, avant d’être reconnue coupable d’une quelconque faute.
A également été déclaré inconstitutionnel l’article 26, qui aurait conditionné l’octroi de l’asile ou de l’autorisation pour un étranger de rester en France, à son « respect des principes de la République ». Les étrangers et réfugiés ne respectant pas les « principes de la République » auraient pu être expulsés. Le Conseil constitutionnel a reconnu que les étrangers n’ont pas le droit de vivre en France et que l’État peut expulser les non-ressortissants dangereux, mais il a considéré que les références aux « principes de la République » étaient si vagues qu’elles ouvraient la voie à l’arbitraire des autorités administratives.
En troisième lieu viennent les articles qui ont été déclarés constitutionnels, mais seulement dans la mesure où ils sont interprétés selon les indications du Conseil. La disposition la plus importante de ce groupe est l’article 49 sur l’enseignement à domicile. Le Conseil intervient à la fin d’un processus où le projet initial d’interdire complètement l’enseignement à domicile a été modifié, après de nombreuses protestations, en un système où l’enseignement à domicile est autorisé mais soumis à une autorisation préalable des autorités scolaires locales.
Ce n’est toujours pas suffisant pour les chrétiens et les autres partisans de l’enseignement à domicile, y compris pour les législateurs qui ont protesté, car avant la loi, l’enseignement à domicile était libre, bien qu’il soit contrôlé par les autorités scolaires, et n’était pas soumis à l’autorisation préalable qui a maintenant été introduite. Le Conseil constitutionnel a décidé que l’autorisation préalable n’est pas en soi inconstitutionnelle, à condition qu’elle soit accordée ou refusée sur la seule base du respect des programmes obligatoires et de la capacité des enseignants à instruire les élèves, à l’exclusion de toute « discrimination de quelque nature que ce soit. »
Quatrièmement, la majorité des articles n’ont pas été examinés par le Conseil constitutionnel et n’ont pas été déclarés constitutionnels, ni inconstitutionnels. Cela signifie que tout juge appelé à les faire appliquer peut être contesté par les parties sur leur constitutionnalité et, via la Cour de cassation ou le Conseil d’État, ils peuvent être examinés par le Conseil constitutionnel, qui fera ce qu’il n’a pas fait maintenant et se prononcera sur leur constitutionnalité.
Des doutes subsistent en fait sur d’autres dispositions. Interviewé par Le Figaro, l’universitaire Emmanuel Tawil, qui est membre de la Commission consultative des cultes, affirme que les députés et sénateurs n’ont pas fait leurs devoirs, ce qui n’aurait pas été difficile, car « il suffisait de recopier les avis du Défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Certains parlementaires avaient pourtant fait des promesses en ce sens aux cultes. »
Tawil considère en particulier que sur l’article 69 a « pèse un très fort soupçon d’inconstitutionnalité», car il change un régime où on pouvait librement créer des associations, pour un régime où, en substance, elles devraient être autorisées par l’autorité administrative, le préfet, bien que le système d’autorisation ait été adouci après les commentaires du Conseil d’État.
Un autre article qui peut être suspecté d’inconstitutionnalité est l’article 77 qui demande aux associations de déclarer au préfet tout apport, sauf minime, en argent ou en « ressources » qu’elles reçoivent de l’étranger, et autorise les préfets à s’opposer à ces apports (sans fixer le délai dans lequel cette opposition doit être formulée). Il est vrai que, là encore, le législateur a tenu compte des critiques et a limité la possibilité pour les préfets de s’opposer à ces contributions aux seuls cas de risque manifeste pour un « intérêt fondamental » de la société française. Cependant, il faut considérer que pour plusieurs organisations religieuses, les contributions de l’étranger sont essentielles, et les préfets se voient ainsi conférer un dangereux pouvoir de paralyser leurs activités.
Du premier au dernier projet, et grâce aux interventions du Conseil d’État et maintenant du Conseil constitutionnel, la loi a certainement été améliorée. Les dispositions visant à réprimer les « sectes » ont été éliminées. Cependant, on a perdu l’opportunité d’utiliser la loi pour moderniser le vieux système français pour les associations religieuses et certaines dispositions controversées subsistent et vont probablement générer un nombre important de litiges.