24/08/2021 Massimo Introvigne
Ayant inventé la théorie du « lavage de cerveau », la CIA a cru à sa propre propagande et a essayé de faire subir un « lavage de cerveau » à des « volontaires », au Canada. Cela n’a pas fonctionné.
par Massimo Introvigne
Source : Bitter Winter
Article 2 sur 5. Lire l’article 1.
Dans le premier article de cette série, nous avons vu comment la propagande de la CIA a créé l’expression « lavage de cerveau » et une théorie du « lavage de cerveau » pour expliquer la raison pour laquelle des personnes intelligentes pouvaient embrasser une doctrine aussi « absurde » que le communisme, et pour accuser les communistes soviétiques et chinois de pratiques sinistres privant leurs victimes de leur libre arbitre.
Paradoxalement, la CIA a fini par croire en sa propre propagande et a fait ses propres expériences pour essayer de reproduire le « lavage de cerveau » communiste.
Le projet secret de « lavage de cerveau » de la CIA portait le nom de code de projet MK-ULTRA. À l’origine, il n’était mentionné que dans une poignée de publications critiques à l’égard du gouvernement américain, et souvent rejetées comme soutenant les théories du complot. Plus tard, cependant, la CIA est devenue le défendeur dans plusieurs procès intentés par des « volontaires » qui avaient subi des dommages permanents, et par leurs proches, à cause des expériences MK-ULTRA, le plus important de ces procès ayant abouti à un accord en 1988. Grâce à ces procès, plusieurs documents clés ont été rendus publics.
Il a ainsi été confirmé que, pour poursuivre ses « expériences de lavage de cerveau », la CIA s’était assurée la coopération de plusieurs universités et chercheurs américains de premier plan, qui étaient à l’avant-garde de la recherche avancée en sciences du comportement. Tous n’étaient pas pleinement conscients des objectifs ultimes du projet, et la CIA se cachait derrière trois fondations prétendument privées.
Les premiers résultats n’ont pas été encourageants. Chaque équipe de recherche adoptait une ou plusieurs méthodes spécifiques telles que des drogues hallucinogènes, des médicaments psychotropes administrés à des doses supérieures à la normale, la privation sensorielle, des traitements répétés par électrochocs, la lobotomie ou autres formes de psychochirurgie, et l’hypnose. Certains des « volontaires » étaient des détenus, d’autres les patients psychiatriques des chercheurs ou des sans-abri à qui l’on avait promis d’importantes sommes d’argent.
Le projet de la CIA a fait un bond qualitatif lorsque Donald Ewen Cameron, un éminent psychiatre écossais, professeur de psychiatrie à l’université McGill de Montréal, s’est joint à la tentative. Plus tard, Cameron est devenu président de l’American Psychiatric Association, et a fondé l’Association mondiale de psychiatrie. Dans une longue série d’expériences sur ses patients canadiens, il a combiné plusieurs des techniques qui avaient été testées séparément. La CIA appréciait également que Cameron travaille au Canada, contournant ainsi les restrictions légales interdisant de telles expériences aux États-Unis.
Cameron a basé ses expériences sur une théorie en deux étapes. Dans la première étape, qu’il appelle « démodelage », il cherche à éliminer les idées, les habitudes et les attachements existants du sujet, générant une sorte d’« amnésie sélective ». Le résultat de cette étape, selon les termes d’un cadre de la CIA, était la « création d’un légume », un sujet pas particulièrement utile pour le contre-espionnage. Mais Cameron passe ensuite à la deuxième étape qu’il appelle « conduite psychique », au cours de laquelle le sujet est « reconditionné » pour adopter de nouveaux modèles comportementaux et des idées permanentes.
En fait, Cameron a même trop bien réussi à créer des « légumes ». Parmi les techniques qu’il a utilisées, citons les traitements par électrochocs qui étaient de vingt à quarante fois plus forts que les doses moyennes administrées dans les hôpitaux psychiatriques, et qu’il a administrés aux patients trois fois par jour pendant plusieurs jours. Il administrait également des médicaments pour provoquer une privation de sommeil pendant des périodes allant de quinze à soixante-cinq jours. Il donnait à ses patients des cocktails de psychotropes et d’hallucinogènes, dans des quantités bien supérieures à celles de leur usage récréatif normal. Il n’est pas surprenant, comme les procès l’ont révélé plus tard, que la plupart des patients aient succombé à des maladies mentales ou autres, et ne se soient jamais rétablis. Certains sont morts.
Le passage du démodelage au reconditionnement psychique, n’a cependant jamais réussi. Cameron enregistrait sur cassette ses propres « instructions », ainsi que des phrases prononcées par le patient. Les patients, à l’état de « légume » produit par le démodelage étaient contraints d’écouter les cassettes jusqu’à seize heures par jour. Parfois, des écouteurs étaient insérés dans des casques de football que les patients ne pouvaient pas retirer. Des écouteurs étaient également cachés sous leur oreiller, afin qu’ils puissent continuer à écouter les cassettes même dans leur sommeil. Mais rien ne fonctionnait.
En fait, les expériences de Cameron ont prouvé quelque chose. Elles ont prouvé qu’il n’était pas possible de « laver le cerveau » d’une victime pour lui faire changer ses idées ou orientations fondamentales. Ayant abouti aux mêmes conclusions, la CIA a mis fin en 1963 au projet MK-ULTRA, y compris à la partie que Cameron avait menée.
Pour utiliser la propre et avantageuse métaphore de la CIA, celle-ci a appris qu’il serait possible de « laver » le cerveau jusqu’à ce lui faire perde sa « couleur » et le faire devenir « blanc » ; le patient serait alors réduit au triste état d’une épave humaine. Mais il est impossible de le « recolorer » avec de nouvelles idées.
Traduction CAP LC