Faculty for Comparative studies of Religion-Antwerpen.
Juillet 2022
L’Union des Associations de Défense de la Famille et de l’Individu, un organisme conservateur qui a toujours bénéficié du soutien des politiciens de gauche, a commandé une enquête à l’institut de sondage Odoxa sur la perception des prétendues dérives sectaires. Ce sondage a bénéficié du financement de la miviludes, un organisme d’État.
Le rapport d’enquête s’intitule : Les Français et le phénomène sectaire. Il s’agit d’une enquête par questionnaire administrée par internet à un échantillon représentatif de 1006 Français, les 21 et 22 décembre 2021, publiée le 17 janvier 2022. Nous n’avons pas eu accès au questionnaire mais on devine les questions posées en lisant les sous-titres du rapport d’enquête. Nous ignorons si ce sont des questions directes avec des réponses : « oui/non/je ne sais pas », qui sont entachées du phénomène de tendance à l’acquiescement (surestimation des réponses ‘oui’ qui faussent les résultats). Nous ne connaissons pas non plus le coût de l’enquête.
Les sous-titres sont :
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Exposition des Français aux dérives sectaires et perception de la situation actuelle.
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Caractérisation d’une secte.
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Caractérisation de l’emprise sectaire.
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Profil des adeptes dans l’esprit des Français.
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Domaines dans lesquels les mouvements sectaires sont présents.
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Les dangers que représentent les mouvements sectaires.
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Théorie du complot et dérives sectaires.
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Prévention et notoriété des associations de défense des victimes des sectes
Remarques
– Les sous-titres qui renvoient probablement aux questions reprennent, sans la distanciation méthodologique nécessaire, le vocabulaire des opposants aux sectes que la miviludes a elle-même repris, par exemple : risques judiciaires, risques psychosociaux, emprise sectaire, dérives sectaires. En ce qui concerne l’emprise sectaire, les caractéristiques qui lui sont attribuées se retrouvent dans la définition donnée autrefois par l’Association de Défense de la Famille et de l’Individu notamment sous la plume du psychiatre lillois Philippe Parquet et de son homologue Jean Marie Abgrall : rupture avec l’entourage, adhésion inconditionnelle à une théorie ou la rupture avec ses valeurs habituelles (lesquelles ?), l’adhésion forcée qui renvoie à l’idéologie de la victimisation ; et pour d’autres messagers de l’antisectarisme : la menace pour la démocratie et la menace pour la laïcité, cet argument a été prononcé avant les actions des sectes islamistes radicales prônant la rupture avec la laïcité.
– Les enquêteurs demandent l’avis des enquêtés sur les dérives sectaires et les sectes sans en citer une ou sans demander aux enquêtés d’en citer une ou plusieurs pour savoir à quoi ils font référence quand ils émettent un avis. Le rapport mentionne le développement personnel dont on ne sait pas en quoi il pourrait entrer dans la catégorie sociologique des sectes. Il s’agit d’un phénomène autre auquel des sociologues tels que Edgar Cabanes et Eva Illouz (Happycratie, Paris, Premier parallèle, 2018) se sont intéressés en montrant ses liens avec l’individualisme capitaliste. Une des questions aurait pu être : Quelle secte connaissez-vous ? Comment l’avez-vous connue ? Connaissez-vous personnellement des membres de cette secte ? Quand on dit secte à quel mouvement pensez-vous ?
– Nous constatons aussi que les taux élevés de réponses dans un sens n’ont pas conduit les auteurs de l’enquête à s’interroger sur la validité des questions comme on demanderait à un étudiant de le faire. Ainsi que peut signifier que 86 % des interrogés affirment avoir été déjà exposés, soit eux soit leur entourage, au phénomène sectaire quand on ne leur demande pas lequel ? Que signifie que 62 % des français estiment que le phénomène sectaire est en hausse en France alors qu’on ne sait pas de quoi on parle exactement et que le chiffrage est difficile. Nous apprenons aussi que 22 % de la population française selon une extrapolation de la population, soit paraît-il 11 millions de Français, ont été personnellement contactés par une secte ou un membre d’une secte sans que l’on sache quelle « secte », ni en quelle occasion, ni quelle suite ils ont donnée. Nous apprenons aussi que pour 78% des français, les membres des « mouvements sectaires » sont victimes de pressions et de contraintes sans que l’on demande d’en citer dans une question corolaire. On apprend aussi que 55 % des sondés pensent que les membres d’un mouvement sectaire ne le sont pas de façon librement consentie, toujours sans demander pourquoi, et que 85 % jugent que l’appartenance à ces mouvements peut conduire à commettre des actes délictueux, sans demander quel mouvement, ni quels actes et pourquoi ? Les interrogés pensent ils aux attentats islamistes ?
Sur l’enquête elle-même
En premier lieu, nous constatons qu’il s’agit d’une enquête de représentation sociale des dites ‘dérives sectaires’ qui n’ont aucune définition juridique, ni sociologique. Or, les pychosociologues savent qu’on peut se représenter n’importe quoi même des phénomènes fictifs. Ainsi, on obtiendrait des réponses dans une enquête sur la secte des ‘nonologues’, qui n’existe pas, si elle était administrée à un échantillon de population. La représentation sociale est engendrée (suggérée) par le questionnaire lui-même. Ce processus est particulièrement évident lorsque le sondage introduit la notion de théorie du complot, sans définition une fois de plus, et l’associe aux dérives sectaires avec pour résultat d’unir les deux représentations dans l’esprit du sondé. L’enquête de représentation engendre son objet imaginaire.
Observons au passage que certaines questions ne laissent pas d’étonner. Ainsi, « la loyauté systématique envers son groupe » ou « la fréquentation assidue d’un lieu de culte » seraient des « indicateurs de l’emprise sectaire », ainsi que « le fait d’être irritable, déprimé(e) »…
En second lieu, l’enquête est tautologique. L’enquêteur pose des questions dans le vocabulaire antisecte et il retrouve un acquiescement au discours antisecte qui imprègne les médias. D’ailleurs comme me le faisait remarquer notre collègue Yves Lambert, dans ce genre d’enquête de représentation d’un objet social on mesure surtout l’influence des médias et de l’idéologie dominante. Ainsi dans sa synthèse finale, l’enquêteur déduit que les résultats de l’enquête sont conformes à la réalité. Quelle réalité ? Celle que les sociologues décrivent sur la base de longues enquêtes soumises à la critique méthodique de leurs collègues ? Sûrement pas ! La réalité en question apparaît être le discours antisecte de la miviludes qui mêle les groupes religieux minoritaires reconnus, le développement personnel, les médecines alternatives largement diffusées dans les médias et surtout pas apparemment les sectes islamistes radicales.
Au passage, il faut relever une curiosité méthodologique. Les résultats du sondage Odoxa de 2021 sont comparés à ceux obtenus par l’étude Ipsos de 2010. Mais, lorsqu’elle demande aux sondés s’ils connaissent au moins une victime de dérives sectaires, l’enquête déroge à cette méthode. Elle privilégie alors une étude de 2011 (qui portait sur quatre questions). Pourquoi ce changement de paramètre ? Voyons les chiffres :
Sujet | Étude IPSOS
2010 |
Étude IPSOS
2011 |
Sondage Odoxa
2021 |
Connaissent dans leur entourage au moins une personne victime de dérives sectaires. | Entre 20 % et 21%
(Selon la moitié de l’échantillon qui est retenue) |
14 % | 14 % |
La comparaison avec 2010 démontre une baisse. Pourquoi cela n’a-t-il pas été souligné ? La méthodologie cesserait-elle ici d’être au service de la réalité pour se mettre au service du résultat souhaité ?
En troisième lieu, les associations antisectes pourront arguer de ce que 68 % des personnes interrogées pensent que l’État n’est pas assez engagé dans la lutte contre le phénomène sectaire sans qu’on leur ait demandé pourquoi et que 92% des interrogés ne peuvent citer une association de « défense des victimes ». Ce qui appelle des subventions pour se faire connaître.
Finalement, en lisant le rapport de cette enquête, qui ne serait pas acceptée venant d’un étudiant, nous pensons à ce que disait un ancien président de la République : « Je constate que les sondages sont favorables à ceux qui les commandent ».
Régis Dericquebourg